Quelques réflexions sur la vulgarisation et YouTube en histoire, mais pas seulement.

Une série de discussions récentes me pousse à écrire un petit billet sur un sujet complexe et dont je ne suis pas forcément spécialiste, mais à propos duquel je voudrais partager quelques réflexions.

Il y a quelques jours, alors que l’irruption au Capitole d’une poignée de fanatiques de Donald Trump faisait la une de l’actualité, j’ai proposé à mes élèves de 1^ère (spécialité histoire, géographie, géopolitique et sciences politiques) de revenir sur ces événements. Comme souvent, nous commençons par un retour sur les faits coconstruit, ceux qui ont suivi l’actualité expliquant aux autres ce dont il s’agit, mon rôle se cantonnant à animer et apporter (ou faire apporter) quelques précisions ou rectifications. Rapidement, la discussion glisse vers les moyens de suivre l’actualité, puisque parmi la grosse vingtaine (ou la petite trentaine, disons la vingt-cinquaine) de présents, plusieurs situations coexistaient.

Certains, une petite moitié, avaient suivi les événements en direct. D’autres, à peu près le même nombre, les avaient appris le matin, soit en consultant l’actualité sur leur téléphone (souvent sur les réseaux sociaux), soit de la bouche de leurs camarades. Quelques élèves, enfin, n’étaient au courant de rien. Or parmi ceux qui étaient plutôt au fait de la situation, plusieurs avaient suivi l’attaque, ou l’avaient apprise le lendemain, sans passer par les médias traditionnels, notamment en suivant des commentaires en live de youtubeurs ou d’influenceurs, sur YouTube ou Twitch, ou des vidéos de résumés sur YouTube ou Instagram.

Je reviens sur les réserves déjà évoquées ensemble sur l’information sur les réseaux sociaux, en particulier le risque de tomber sur un peu n’importe quoi sans la garantie de sérieux offerte par le journalisme professionnel, mais rien n’y fait, ils ne veulent pas en démordre, leur média de prédilection leur semble soutenir la comparaison. Un nom en particulier revient dans plusieurs bouches, nom que j’ai déjà entendu sans jamais m’y intéresser : HugoDécrypte, qui fait l’unanimité, et dont plusieurs élèves m’affirment qu’il est du plus grand sérieux, et que je dois absolument me faire un avis par moi-même. Et que d’ailleurs, cet avis, ils sont curieux de le connaitre, parce qu’ils me font confiance et que quand même, ils ne semblent pas si certains que ce soit absolument parfait.

Me flatter étant la meilleure manière de m’amadouer, ils réussissent leur coup et je promets de jeter un œil.

Quelques jours plus tard, je me penche donc sur la question [1]. Comme je m’y attendais, vu que les élèves qui me l’avaient conseillé avaient quand même une bonne idée des événements dont nous parlions, ce n’est pas à proprement parler mauvais. Le gars sort de Sciences Po, il parle plutôt bien, il ne dit rien de faux. Mais. Mais. Oui, mais :

1. Les vidéos sont clairement formatées pour optimiser la monétisation sur YouTube plus que pour servir la qualité de l’info : montage rapide et rythmé avec des images d’illustration pour que le spectateur ne s’ennuie surtout pas, invitations régulières à s’abonner voire à donner de l’argent, présence systématique d’une info un peu accrocheuse/clickbait qui, si elle est traitée rapidement dans la vidéo, est mentionnée dès le titre pour augmenter les vues.
2. L’actualité du jour est résumée, dans les vidéos de 10 minutes, à 3 informations et 2 ou 3 brèves. Il y a donc forcément des trous dans la raquette. C’est pire dans les vidéos d’une minute sur Instagram qui sont de simples successions de titres.
3. Le degré d’approfondissement est celui qu’on trouve dans des journaux pour ados comme Mon Quotidien (destiné aux 11-13 ans), voire éventuellement L’Actu (12-16 ans, de mémoire). Mais avec moins d’infos traitées, donc. C’est la contrepartie du montage rythmé, des images d’illustration qui font joli mais ne sont pas exploitées, et ça va avec une simplification à outrance qui, à vouloir faire simple, aboutit à un résultat simpliste.

Bref, on est bien loin du degré d’approfondissement qu’on attend chez des élèves de première qui ont choisi une spécialité qui contient de la science politique. Comme je le leur ai dit, si Le Monde est disponible au CDI, ce n’est pas pour les profs. C’est parce qu’on attend d’eux qu’ils soient capables de le lire et de le comprendre et que, bonne nouvelle, ils le sont. En estimant qu’ils ne méritent pas mieux qu’un résumé simpliste de l’actualité, ils manquent cruellement de confiance en eux. Et en plus, ils rajoutent un intermédiaire supplémentaire entre les événements et eux, augmentant le risque d’erreur, et n’aiguisant pas leur propre esprit critique et leur capacité de réflexion, puisqu’ils se contentent de contenus prémâchés. En d’autres termes, à un moment, quand on veut sortir de son arrière-cour, il faut oser enlever les roulettes du vélo, sinon on risque de ne pas beaucoup voir le monde.

Or cet épisode rejoint à mon sens, en tout cas dans mes réflexions, un événement bien plus récent. Hier, réagissant à l’utilisation de sa voix par l’hebdomadaire d’extrême-droite Valeurs Actuelles, le youtubeur Benjamin Brillaud, connu sous le pseudonyme de Nota Bene affirme son refus d’être utilisé par un média qui propage la haine et conclut son message par un splendide et bien référencé « Allez vous faire cuire le cul ! » [2].

La sortie lui vaut bien entendu de nombreuses louanges, y compris de ma part, sur les réseaux. Mais moi, je ne peux pas m’empêcher de faire le lien avec mon histoire de youtubeur actu. On me demande souvent mon avis sur Nota Bene, et on me le demande encore ce soir parce que j’ai émis quelques réserves sur sa chaîne après avoir applaudi sa sortie. Déjà, j’avoue que je trouve le personnage sympathique mais aussi très agaçant. Le ton de ses vidéos ne me plait pas et ne me parle pas, mais je suis certain que nous passerions un bon moment autour d’une bière à parler d’autre chose que d’histoire.

En revanche, ses vidéos posent problème si on veut s’en servir comme un support de vulgarisation des savoirs historiques au sens de connaissance scientifique du passé. Passons rapidement sur les quelques erreurs dans certaines vidéos [3]. A la limite ce n’est pas l’important, puisqu’on n’est pas, comme avec Loran Deutsch ou Franck Ferrand, face à de la mauvaise foi visant à accréditer des positions politiques [4]. Les erreurs sont à mon avis des erreurs de bonne foi, et comme le notait Roy Rosenzweig dans son article sur la fiabilité de Wikipédia [5], on en trouve même dans des ouvrages de référence.

Non, ce qui pose problème, c’est ce primat de la forme sur le fond imposé par la logique économique des réseaux sociaux, et ici de YouTube. La nécessité d’attirer des clics pour monétiser les vidéos suppose un ton et des titres aguicheurs, un format court et dynamique, avec un montage rythmé, beaucoup d’images qui changent souvent pour ne pas endormir le lecteur et donc nécessairement des simplifications et des raccourcis. Autant d’éléments qui entrent en contradiction avec ce que doit être une bonne vulgarisation historique. Faire de l’histoire, c’est prendre le temps d’entrer dans le détail et dans la complexité des choses. De là le fait que pour moi, un youtubeur comme Nota Bene ne fait pas de l’histoire, et même pas vraiment de la vulgarisation historique. Il parle du passé, il parle de l’histoire, mais on est dans le registre du divertissement plus que de la transmission de connaissance.

Alors bien sûr, ce que j’écris pose un problème : en disant cela de Nota Bene, j’affirme en fait que la vulgarisation doit être exigeante et nécessite un effort et un investissement du public, du lecteur, etc. Or il y a un risque que le public en question ne soit pas prêt à faire cet effort et ne vienne pas à l’histoire. Et je sais bien que c’est pour ça que de nombreuses personnes défendent l’histoire ou, pour revenir à HugoDécrypte, l’actualité vulgarisées sur YouTube. L’idée, c’est qu’en enrobant une discipline aride et exigeante ou une information complexe et souvent morose de divertissement et d’anecdotes, on pourra attirer le public vers l’histoire ou intéresser les jeunes à l’actualité, à la politique. C’est même le but premier de Nota Bene, avant même que ne se pose la question de l’argent, et je suis persuadé que ce sympathique barbu veut sincèrement œuvrer à l’accès du plus grand nombre au savoir historique. Mais pour moi, nier qu’il est nécessaire de faire un effort, affirmer qu’on peut faire sans, c’est renoncer à réfléchir par confort, c’est céder à une facilité qui nous conduit tout droit là :  

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[1] Attention, mon but n’est pas de produire une démonstration mais de réfléchir d’une manière générale sur ce que YouTube fait à l’histoire et à l’information. Je ne donne donc pas de référence précise des vidéos consultées, mais chacun peut aller se faire une idée sur les chaînes concernées.

[2] L’expression a été popularisée par le film La Vérité si je mens 2.

[3] En plus, soyons honnête, je n’ai pas le courage de regarder ses vidéos pour chercher des exemples précis à vous donner.

[4] Voir au sujet de ces détournements de l’histoire par des « historiens » médiatiques proches de la droite et de l’extrême-droite l’excellent Les Historiens de garde de William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin (Inculte, 2013).

[5] Roy Rosenzweig, « Can History be Open Source? Wikipedia and the future of the past », The Journal of American History Volume 93, Number 1, Juin 2006, https://rrchnm.org/essay/can-history-be-open-source-wikipedia-and-the-future-of-the-past/

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